>> IMAGES

>> English version

Ville(s) Fantome(s) [Tarlabaşi]


textes

- Arie Amaya Akkermans, "On Ghosts & Apparitions", Sententiae Antiquae, 29'10'2020


Le 6 mai 2013 à une heure du matin, je m’enfonçais dans une ruelle obscure de Tarlabaşi. Un premier immeuble abandonné était suivi d’un second, puis d’un troisième. La zone était entièrement abandonnée. Au bout de dix minutes, un véhicule de police s’arrêta à ma hauteur. Je jouais aux touristes égarés et je rentrai me coucher.

Le 6 mai 2013 à huit heures du matin, je repris le parcours. La lumière du jour dévoilait des détails architecturaux – frontons, bow-windows, consoles -, des textures de pierre, de carrelage, de bois, des rideaux déchiquetés, des carreaux de fenêtres brisés, des particules de poussière et de la végétation, invisibles de nuit. Tous les édifices étaient détériorés, sauf, intact et habité, qui résistait seul dans ce champ de ruines.

Il s’agissait d’un projet de « rénovation urbaine » et de gentrification : on repeint les « jolies » façades, on rase le reste. Les habitants sont partis, les cris de enfants dans la rue, les vieux jouant aux dames en sirotant le thé, les exploits des petits truands, toute la vie de quartier s’est éteinte. Même un blog qui tentait de rassembler les mémoires a disparu de la toile.

Une palissade métallique ceinturait les immeubles, interrompue par le relief ou par des percées permettant une dérobée vers l’intérieur. Certaines artères étaient entièrement bouclées, isolées du reste du monde. On démolissait à la pioche, à la main, depuis l’intérieur. Et les gravats atterrissaient sur la chaussée.

Quelques heures plus tard, je rencontrais Arie pour la première fois, puis Hale, dont j’avais découvert quelques années auparavant la vidéo Beirut (2005-2007) : l’hôtel Saint-Georges filmé en plan fixe, sans trépied, cadrage fermé, rideaux qui volent, bande son inquiétante alternance jour / nuit. C’est glaçant et ça anticipe mon parcours à Tarlabaşi. Curieux chassé-croisé entre Beyrouth et Istanbul.

Hale, Arie et toutes les personnes rencontrées lors de ce séjour n’étaient pas bien. Deux semaines plus tard, la ville s’embrasait autour du parc Gezi. C’était le début de la fin d’un état de grâce, où de l’illusion d’un état de grâce. Dans les mois et les années qui allaient suivre, les nuages ne cesseraient de s’amonceler au dessus du Bosphore comme au dessus de tout l’Orient méditerranéen. Alexandrie, Le Caire, Beyrouth, Damas, Alep, Izmir.



Pour Arie Amaya Akkermans, Hale Tenger et Hera Büyüktaşçıyan.


articles de presse


- The Markaz Review, 10'06'2023
-
SFAQ San Francisco Arts Quarterly, 08'2014


projets en rapport

- Habitats abandonés. Tableaux
- Apocalypse




 ©gregory buchakjian. all rights reserved