L'Orient Le Jour, 20'08'2003
related project: Points d'eau
Patrimoine - Salima 3e édition: développement et préservation s’inscrivent sur le site
Entre «invention et liberté», la réhabilitation des fontaines publiques est à l’honneur cet été

Salima, un village à reconstruire
dans la pure tradition architecturale.

Mme de Durfort visitant un des ateliers. 

Pour la troisième année consécutive, en collaboration avec l’Institut français d’architecture (IFA), l’Association pour la protection des sites et anciennes demeures au Liban (APSAD) et l’Alliance internationale des Libanais pour l’éducation et la solidarité ( AILES), Patrimoine sans frontières investit le village de Salima. Il faut dire que la réussite de l’Atelier 2002 a ouvert la voie à de nombreuses propositions, tant de la part des associations partenaires que des architectes et des habitants, donnant naissance au festival SEIL (Salima entre invention et liberté). Il se déroule du 18 au 31 août et s’articule autour de la rénovation des fontaines du village.
Car au-delà de la programmation d’événements culturels (musique, cinéma, ateliers pédagogiques, etc.), «l’objectif de ce festival est de mettre en valeur les atouts et qualités du village – son environnement bâti et naturel – en suscitant un tourisme vert, facteur de développement économique. Notre but est d’aider à reconstruire et à redynamiser une région, tout en préservant le patrimoine architectural et environnemental», affirme Mme Béatrice de Durfort, présidente de Patrimoine sans frontières (PSF). 
Rappelons que l’atelier d’architecture de l’édition 2002 a permis de répertorier les ressources humaines et les richesses patrimoniales de Salima dont le sérail et la place d’armes (midan) datant du XVIe siècle, sept églises, deux sanctuaires druzes, plusieurs magnaneries du XIXe siècle et des dizaines de demeures anciennes. Mais aussi, un réseau de fontaines, méritant réhabilitation et valorisation, autour desquelles les architectes Habib Debs et Bernard Khoury, l’Atelier de recherches de l’Alba et Table rase ont réinventé un espace public. Leurs projets seront réalisés avec l’aide des 30 étudiants en architecture venus des écoles françaises et libanaises (Lille, Marseille, Versailles, Paris-La Villette, Paris Belleville, Alba, Deir el-Kamar et Tripoli). L’opération est financée par le PSF. Les fontaines rénovées seront inaugurées le samedi 30 août et constitueront «un lieu d’échanges entre les différentes communautés», a souligné Mme Durfort, ajoutant que l’objectif de son organisme est de «convertir un patrimoine à charge, témoin des déchirures communautaires, en un bien commun (...), de favoriser la reconstruction d’une identité commune, grâce à la réappropriation par la population d’un lieu de rencontre à forte charge symbolique». 
Traditionnellement habité par deux communautés (druze et chrétienne), ce village est l’un des premiers à avoir subi des destructions importantes, lors du déclenchement de la guerre dans la montagne. Il est également l’un des derniers à attendre encore le retour d’une partie importante de sa population. Ce retard lui a néanmoins permis d’échapper à la reconstruction massive et anarchique qui a défiguré nombre de villages à caractère historique dans le Mont-Liban.
L’état de conservation des lieux et la qualité de son paysage architectural ont été jugés «assez exceptionnels» pour susciter un projet de préservation novateur. L’APSAD et une équipe d’architectes et d’enseignants libanais ainsi que les associations françaises Patrimoine sans frontières et l’IFA collaborent étroitement depuis trois ans, dans le cadre d’une réflexion sur la protection du site.
Pour un rappel des faits, c’est suite à un appel lancé par l’APSAD que Patrimoine sans frontières a effectué, en 2001, ses premières missions de repérage et de diagnostic. L’engagement des ministères de la Culture et des Déplacés dans un processus innovant et qualitatif a achevé de convaincre l’organisme international de s’engager et de soutenir les démarches initiées en vue de la préservation de ce village du Metn. Pendant ce temps, l’APSAD s’instaure maître d’ordre à Salima, contribuant techniquement et financièrement à la mise en place d’un plan directeur de reconstruction qui sera adopté par la Direction générale de l’urbanisme. L’association dresse également l’inventaire des bâtisses anciennes dont plus de 80 seront estampillées «bâtiment à caractère historique» par le ministère de la Culture. De même, une procédure de suivi des permis de construire est mise au point avec le ministère des Travaux publics et la Direction générale de l’urbanisme. Dans une action visant à aider l’habitant, l’APSAD établit un partenariat avec 14 compagnies libanaises spécialisées dans la vente de matériaux de construction (béton, pierres, sanitaires, peintures, etc.). Elles accordent le matériel nécessaire à la restauration au prix de revient ou à un prix réduit.
M. Assem Salam, président de l’APSAD, considère que le projet, impliquant les pouvoirs publics et mobilisant citoyens, entreprises privées et ONG, mise sur «l’exemplarité d’une action expérimentale, dont la réussite pourra déboucher sur la mise en place de véritables outils opérationnels, permettant d’élargir le champ de sauvegarde du patrimoine culturel, social et architectural, à d’autres secteurs géographiques du Liban». En effet, le projet suscite un intérêt grandissant chez les habitants d’autres villages – principalement Abey et Mtein – qui tentent de développer la même démarche dans leur commune.
La participation, par ailleurs, de l’Alliance internationale des Libanais pour l’éducation et la solidarité (AILES), au festival SEIL, «permet d’introduire la notion du patrimoine dans son activité éducative et culturelle (...). Protéger notre mémoire pour nous projeter dans un avenir pacifié et harmonieux: c’est ainsi que nous concevons l’évolution de notre société et à cette fin, nous œuvrerons passionnément sans relâche», déclare M. Rami Adwan, président d’AILES, qui a pris en charge, pour la seconde année consécutive, l’animation de l’espace public, proposant bibliobus, jeux, lectures, cours de français et, en collaboration avec l’association MILL, des ateliers de «Musique improvisée libre»... Diffusant en sourdine une vision de Salima et de multiples alternatives à son développement et à sa préservation. 

Photo, vidéo et site Internet 
Une exposition de photos sur Salima est prévue à l’Institut national du patrimoine, à Paris. De même, des reportages vidéo, portant sur l’ensemble des manifestations du festival SEIL (format de 13’ ou 26’) seront réalisés par Michel Tabet et Olivier Koches (vidéastes journalistes).
Des reportages photographiques relatant divers aspects de la vie quotidienne au village (pratiques sociales, vie religieuse, cadre architectural et patrimonial) seront signés René-Paul Savignan et Prune Brenguier (photographes-vidéastes). Toutes ces images constitueront un documentaire complet au terme de l’opération, en 2007. La matière produite donnera lieu à la création d’un site Internet- Salima. 

Cinéma et musique

Pour faire revivre tous les espaces du village et réinvestir un patrimoine commun à tous, Beirut DC (association qui cherche à produire, à promouvoir et à distribuer des films non commerciaux et à organiser des ateliers de formation) et «..né. à Beyrouth» (association travaillant à la promotion et à la diffusion du cinéma contemporain libanais) présenteront, sous le thème «Le cinéma libanais d’aujourd’hui», des projections de courts, moyens et longs métrages, suivies de rencontres/débats avec les réalisateurs et les acteurs.
Parallèllement, l’association libanaise dédiée à la recherche, la création et le développement de la musique improvisée libre au Liban (MILL) organise dans la forêt du village, le vendredi 22 août, un concert (en soirée) et un atelier d’initiation pour enfants et adultes (à 14 heures). 

Conférences 

Plusieurs conférences seront données dans le cadre du festival SEIL, à Salima. 
Aujourd’hui mercredi 20 août, à 10 h: «Complexité et échelles des espaces publics au Liban» par Michaël Davie, géographe, chercheur, enseignant à l’université de Tours.
Jeudi 21 août, de 10 à 12h30: « Analyse typologique et morphologique du bâti dans les villages de montagne libanaise » avec Habib Debs, architecte-urbaniste, enseignant à l’AUB et à l’Alba. La parole sera ensuite donnée à Pierre Hage-Boutros, Rana Haddad et Grégory Buchakjian, membres de l’Atelier de recherches de l’Alba, qui débattront sur les «Points d’eau: dispersion des fontaines, proximités imprévisibles qu’elles peuvent révéler, récits qui les portent, singularité de leur quotidien. Comment, à la fois, s’approprier une fontaine et la mettre en commun?» 
Vendredi 22 août, à 10h : conférence/débat avec Bernard Khoury, architecte, professeur à l’AUB.
Lundi 25 août, de 10h à12h30 : «Matières d’identité» par Georges Arbid, architecte et historien de l’architecture, enseignant à l’Alba et à l’ AUB . 
Mardi 26 août, à 10h: place à «L’eau et l’enfant» avec Yasmina Skaff (cofondatrice de Table rase) et Sophie Skaf (architecte, cofondatrice de Table rase). 
Mercredi 27 août, toujours à 10h: Mathieu Lucas, étudiant de fin de diplôme de l’École d’architecture de Lille, racontera «Les magnaneries de la région de Salima». 

Alerte au patrimoine mondial

L’association Patrimoine sans frontières, présidée par Mme Béatrice de Durfort, a été créée en 1992. Avec le soutien du ministère de la Culture, elle mène des opérations d’alerte, de préservation et de sensibilisation en direction du patrimoine culturel international, dans des situations de danger ou de disparition imminente. Les actions de Patrimoine sans frontières constituent des réponses apportées à des demandes issues des populations locales concernées.
L’association dirige ses efforts vers les oubliés du patrimoine quels qu’ils soient: sites, ensembles, bâtiments, objets, savoir-faire, etc. Dont la portée symbolique et affective constitue un élément essentiel pour que se transmette la mémoire des peuples.
Structure légère et indépendante, le fonctionnement de PSF repose sur l’établissement d’un réseau multidisciplinaire de professionnels en France et à l’étranger, et sur l’établissement de partenariats avec des organismes publics et privés.

May MAKAREM